Paramètres et enjeux de l’appropriation indue et du mésusage

Lou-ann Neel
2022
Lou-ann Neel travailliant en studio.
Lou-ann Neel travailliant en studio. Photographie gracieuseté de Lou-ann Neel.

L’appropriation est l’action de se saisir de quelque chose pour son propre usage, généralement sans la permission de son propriétaire. L’appropriation indue est le mésusage de quelque chose dont on a la garde ou qui nous a été confié. 

Les œuvres d’art autochtones, également appelées « expressions culturelles traditionnelles » par les Nations Unies, comptent parmi les œuvres d’art les plus fréquemment appropriées et appropriées indûment au Canada et dans le monde. On trouve notamment des exemples d’appropriation et d’appropriation indue dans les boutiques touristiques, les boutiques de cadeaux, les magasins de vêtements, les points de vente au détail et les boutiques en ligne à l’échelle locales, régionales, nationales et internationales. 

S’il existe quelques exemples d’accords de licence légitimes conclus entre artistes et producteurs, le nombre d’exemples flagrants d’appropriation, d’appropriation indue et de pratiques commerciales déloyales est de loin supérieur.

Les œuvres d’art autochtones sont souvent considérées à tort par le grand public comme « faisant partie du domaine public » et, par conséquent, bon nombre de gens croient pouvoir les utiliser gratuitement et sans autorisation. Cette croyance est le résultat d’une mauvaise compréhension des lois en vigueur au Canada, et elle découle probablement du discours que l’on tenait à l’époque coloniale sur les « cultures mortes ou mourantes des Indiens »; par conséquent, les œuvres d’art autochtones sont aujourd’hui largement considérées comme des « artefacts », des « objets » ou des « curiosités » par opposition aux beaux arts, et c’est la raison pour laquelle elles ne sont pas protégées de la même manière (voire pas du tout). 

En Amérique du Nord, les expressions culturelles traditionnelles – ou les œuvres d’art autochtones – n’ont commencé à être reconnues comme pouvant appartenir à ce que l’on appelle les « beaux arts » que dans les années 1950, mais cette désignation était souvent réservée aux œuvres d’art prisées par les collectionneurs, les galeries d’art et les musées. Les œuvres d’art créées pour les marchés en expansion du tourisme et des cadeaux étaient considérées comme étant de « l’artisanat » ou de « l’art populaire », et celles ci sont aussi généralement perçues par le grand public comme relevant du domaine public. 

Certains des premiers exemples connus d’appropriation ont eu lieu au début du XIXe siècle, le long des chemins de fer en construction et au cours du processus de colonisation et de peuplement. Au fil du temps, les marchands de curiosités ont commencé à fabriquer en masse des produits tels que des totems miniatures en plastique et un assortiment de souvenirs ou de bibelots « d’inspiration tribale » pour un marché touristique en pleine expansion. Les dessins, symboles et histoires autochtones – des expressions culturelles traditionnelles – étaient couramment repris et utilisés sans la permission des artistes ou des nations autochtones d’où provenaient les œuvres d’art. Règle générale, l’on ne reconnaissait pas la nation ou l’artiste autochtone concerné et aucune redevance n’était payée à qui que ce soit. 

Il est important que le grand public sache que les expressions culturelles traditionnelles – c’est-à-dire les œuvres d’art autochtones – s’inspirent des lois, des coutumes, des traditions, des protocoles, des systèmes et des processus des différentes nations autochtones dont elles émanent; les artistes héritent de rôles, de responsabilités, d’obligations et de devoirs importants dans le cadre de l’exercice de leurs droits, privilèges, prérogatives et avantages. C’est pourquoi les artistes autochtones ont déclaré à maintes reprises que non seulement leurs droits d’auteur en tant qu’artistes individuels sont violés, mais que leurs droits inhérents ou hérités, ainsi que leurs droits collectifs ou partagés, sont également violés.  

L’incompréhension à l’égard du fait que ces droits sont interreliés avec les pratiques autochtones perpétue des idées fausses concernant les droits d’auteur et les droits de propriété intellectuelle des peuples autochtones et maintient des obstacles systémiques qui font en sorte que les expressions culturelles traditionnelles ne peuvent être protégées adéquatement. 

L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) décrit les « expressions culturelles traditionnelles » comme suit :

Les expressions culturelles traditionnelles, également appelées « expressions du folklore », peuvent comprendre la musique, la danse, les arts, les dessins et modèles, les noms, les signes et symboles, les interprétations ou exécutions, les cérémonies, les ouvrages d’architecture, les produits artisanaux et les récits, ainsi que de nombreuses autres expressions artistiques ou culturelles. 

Les expressions culturelles traditionnelles :

  • peuvent être considérées comme les formes d’expression de la culture traditionnelle; 
  • font partie intégrante de l’identité et du patrimoine d’une communauté traditionnelle ou autochtone; 
  • se transmettent de génération en génération.

Les expressions culturelles traditionnelles font partie intégrante de l’identité culturelle et sociale des communautés autochtones et locales; elles incorporent le savoir-faire et les techniques et transmettent des valeurs et des croyances fondamentales. Leur protection se rapporte à la promotion de la créativité, au renforcement de la diversité culturelle et à la préservation du patrimoine culturel. 1Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) : https://www.wipo.int/tk/fr/folklore/.

Bien que la Loi sur le droit d’auteur, la Loi sur le statut de l’artiste et d’autres lois fédérales et provinciales fournissent un contexte initial relatif aux droits des artistes canadiens, leur portée se limite aux droits individuels et, par conséquent, elles ne fournissent pas les mécanismes de protection nécessaires pour les droits inhérents, collectifs et partagés uniques des peuples autochtones. 

Les auteurs de nombreux rapports, essais, articles, revues et reportages se sont penchés sur la question de l’appropriation et de l’appropriation indue des arts et cultures autochtones. D’ailleurs, parmi ceux ci, les auteurs qui offrent des solutions potentielles exigent tout de même la restauration des systèmes historiques de lois, de coutumes et de traditions des nations autochtones afin de commencer à examiner comment combler les lacunes et remédier aux insuffisances du régime actuel en matière de législation, de réglementation, de politiques, de programmes et de services. 

À l’heure actuelle, il n’existe aucune organisation artistique autochtone régionale ou nationale ayant pour mandat de représenter les voix collectives et les droits inhérents, collectifs et partagés des artistes autochtones au Canada. Par conséquent, des processus tels que les examens législatifs, l’élaboration de politiques et de programmes ainsi que la création de services dans les secteurs des arts, de la culture, du tourisme et des affaires n’incluent pas les peuples autochtones. Les artistes autochtones continuent d’être laissés de côté lorsque l’on tient des discussions et que l’on prend des décisions qui les concernent. 

De plus, en mai 2016, le Canada a adopté la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), mais six ans plus tard, le gouvernement n’a toujours pas établi ou annoncé une approche formelle – législative ou autre – pour lutter contre l’appropriation et l’appropriation indue des œuvres d’art autochtones. L’article de la DNUDPA qui se rapporte le plus directement au travail à effectuer par le gouvernement est l’article 31, qui stipule :

  1. Les peuples autochtones ont le droit de préserver, de contrôler, de protéger et de développer leur patrimoine culturel, leur savoir traditionnel et leurs expressions culturelles traditionnelles ainsi que les manifestations de leurs sciences, techniques et culture, y compris leurs ressources humaines et génétiques, leurs semences, leur pharmacopée, leur connaissance des propriétés de la faune et de la flore, leurs traditions orales, leur littérature, leur esthétique, leurs sports et leurs jeux traditionnels et leurs arts visuels et du spectacle. Ils ont également le droit de préserver, de contrôler, de protéger et de développer leur propriété intellectuelle collective de ce patrimoine culturel, de ce savoir traditionnel et de ces expressions culturelles traditionnelles. 
  2. En concertation avec les peuples autochtones, les États prennent des mesures efficaces pour reconnaître ces droits et en protéger l’exercice. 2Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones : https://www.un.org/development/desa/indigenouspeoples/declaration-on-the-rights-of-indigenous-peoples.html

Puisque chaque nation autochtone dispose de lois, de coutumes et de traditions qui lui sont propres, il incombe aux membres de chaque nation d’affirmer leurs lois, coutumes et traditions respectives et de déterminer comment celles-ci continueront à s’appliquer et à fonctionner dans les contextes actuels et futurs. 

L’exercice de ces droits par les nations autochtones implique un soutien approprié pour la mise sur pied d’organisations s’occupant directement de la question des droits collectifs et partagés uniques de leurs nations respectives. 

Il s’agit notamment de traiter la question de l’appropriation indue et du mésusage des expressions culturelles autochtones. Par exemple, il y a beaucoup de travail à faire avec les collections publiques des musées, des archives, des ministères, des établissements d’enseignement supérieur et des galeries concernant la façon de prendre soin des œuvres d’art autochtones, des enregistrements, des images fixes et animées, ainsi que de toute documentation qui s’y rapporte. 

De nombreuses institutions sont déjà en train d’actualiser leurs politiques, processus et pratiques, mais les communautés autochtones ne disposent pas des ressources en personnel nécessaires pour répondre à la plupart des demandes de collaboration, de partenariat ou de participation à des comités de travail. 

Par ailleurs, alors que les organismes financés par les pouvoirs publics poursuivent la numérisation des collections pour les rendre plus facilement accessibles au moyen de diverses ressources en ligne, les peuples autochtones doivent participer directement à ces efforts afin de donner des directives concernant ce qui est secret ou sacré et ce qui peut être communiqué ou pas. Cela dit, pour ce faire, il faut disposer de capacités organisationnelles. 

Pour que les capacités organisationnelles des communautés autochtones reçoivent un soutien adéquat, il faut que chaque palier de gouvernement s’engage à soutenir les nations autochtones lors de la mise sur pied des organisations nécessaires qui permettront des consultations appropriées sur le renouvellement de la législation, des politiques, des processus, des programmes et des services, ainsi que leur élaboration et leur mise en œuvre.

« Indigenous artworks, also known at the United Nations level as ‘traditional cultural expressions’, are among the most appropriated and misappropriated artworks in C« Les œuvres d’art autochtones, également appelées « expressions culturelles traditionnelles » par les Nations Unies, comptent parmi les œuvres d’art les plus fréquemment appropriées et appropriées indûment au Canada et dans le monde. »anada and around the world. »

Lou-ann Neel

Notes de bas de page :


Lou-ann Neel

Lou-ann Neel tire ses origines des Premières Nations Mamalilikulla, Ma’amtagila et Da’naxda’xw du côté maternel, et des Premières Nations Kwickwasutaineuk, ‘Namgis et Kwagiulth du côté paternel.

Issue d’une longue lignée d’artistes des deux côtés de sa famille, elle pratique l’art graphique Kwakwaka’wakw depuis maintenant plus de quarante ans. Mme Neel crée des œuvres sous diverses formes – bijoux, textiles et peaux, peintures et gravures, ainsi que dessins vectoriels pour de multiples applications, notamment l’animation et l’illustration de livres d’histoires.

En plus de poursuivre sa carrière artistique, Mme Neel se consacre bénévolement depuis plus de 30 ans à la défense des droits des artistes autochtones dans tout le Canada, notamment en cherchant à obtenir un soutien pour la création d’organisations artistiques autochtones qui peuvent apporter un soutien local et régional aux artistes autochtones de la relève ou professionnels, et en plaidant pour d’importants changements à la Loi sur le droit d’auteur et à d’autres lois sur la propriété culturelle et intellectuelle.

« Les œuvres d’art autochtones, également appelées « expressions culturelles traditionnelles » par les Nations Unies, comptent parmi les œuvres d’art les plus fréquemment appropriées et appropriées indûment au Canada et dans le monde. »

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