Créer, connaître et partager : arts et cultures des Premières Nations, des Inuits et des Métis

Steven Loft
2022

Le Plan stratégique 2016 2021 du Conseil des arts du Canada énonce ce qui suit : 

« Le Conseil estime qu’une approche qui respecte et valorise l’expression artistique, les protocoles culturels, les droits et traditions et la vision du monde des Premières Nations, des Inuits et des Métis stimulera le travail des artistes, enrichira les pratiques artistiques et dynamisera les collectivités des Premières Nations, ainsi que les collectivités inuites et métisses. C’est un changement fondamental dans l’approche de financement, de soutien et de reconnaissance des arts et des cultures autochtones de notre pays. On y reconnaît ainsi les droits culturels des peuples autochtones et respecte le concept du droit à l’autodétermination des Premières Nations, des Inuits et des Métis. 1Plan stratégique 2016 2021 du Conseil des arts du Canada »

Relation de nation à nation 

Nous devons reconnaître qu’au sein de toute structure coloniale, nous sommes soit des agents de stagnation, soit des agents de changement. Pour chaque geste politique, social ou culturel qui remet en cause le statu quo, il y aura toujours des forces concurrentes favorisant l’enracinement du colonialisme et des privilèges, la paranoïa ou, tout simplement, l’inertie. Dans le cas d’une institution bureaucratique canadienne telle que le Conseil des arts du Canada, le changement peut être rebutant. Il requiert non seulement une vision et une volonté, mais aussi une capacité à partager l’autorité et à travailler en collaboration, à l’intérieur et à l’extérieur de l’institution, dans un esprit de respect, de réciprocité et de confiance. Dans cette optique, le Conseil des arts du Canada s’est engagé dans une démarche visant à établir une nouvelle relation avec les peuples autochtones de ce pays. 

La manifestation la plus évidente de cet engagement se trouve dans la création du programme Créer, connaître et partager : Arts et cultures des Premières Nations, des Inuits et des Métis (CCP), un programme novateur issu du nouveau modèle de financement du Conseil des arts.

Par l’entremise de ce programme, le Conseil des arts affirme les principes directeurs suivants : 2Loft, Steven. Créer, connaître et partager : Arts et cultures des Premières Nations, des Inuits et des Métis, 2016.

  • respecter la vision du monde et des droits des peuples autochtones énoncés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (2007); 
  • soutenir et respecter les principes de réconciliation énoncés dans le rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (2015), et le soutien à ces principes; soutenir les activités artistiques qui respectent et encouragent l’autodétermination culturelle des Premières Nations, des Inuits et des Métis, ainsi que la vitalité des pratiques artistiques et des communautés autochtones; 
  • reconnaître la place distincte et unique des artistes inuits, métis et des Premières Nations en tant que créateurs, interprètes, traducteurs et porteurs d’une tradition culturelle autochtone, de même que de leur contribution unique à l’identité culturelle canadienne; 
  • reconnaître et soutenir les pratiques artistiques traditionnelles et contemporaines des artistes inuits, métis et des Premières Nations; 
  • favoriser un paysage artistique canadien profondément imprégné des perspectives, des voix, des anecdotes, des luttes et de l’esthétique des Premières Nations, des Inuits et des Métis; 
  • reconnaître le caractère distinct et unique de nombreuses communautés autodéterminées inuites, métisses et des Premières Nations; 
  • reconnaître un large éventail de praticiens des milieux artistique et culturel des communautés inuites, métisses et des Premières Nations. 

De cette manière, nous concrétisons l’engagement du Conseil des arts envers l’article 31 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui stipule ce qui suit :

« Les peuples autochtones ont le droit de préserver, de contrôler, de protéger et de développer leur patrimoine culturel, leur savoir traditionnel et leurs expressions culturelles traditionnelles ainsi que les manifestations de leurs sciences, techniques et culture, y compris leurs ressources humaines et génétiques, leurs semences, leur pharmacopée, leur connaissance des propriétés de la faune et de la flore, leurs traditions orales, leur littérature, leur esthétique, leurs sports et leurs jeux traditionnels et leurs arts visuels et du spectacle. Ils ont également le droit de préserver, de contrôler, de protéger et de développer leur propriété intellectuelle collective de ce patrimoine culturel, de ce savoir traditionnel et de ces expressions culturelles traditionnelles. »

Tout au long de l’exécution du programme, il sera essentiel de l’évaluer et de le surveiller en permanence au moyen d’analyses et de mesures respectant ces valeurs. Ce faisant, nous nous engageons à faire respecter le droit coutumier et le protocole, les droits des détenteurs du savoir autochtone et l’autorité et l’agence des peuples autochtones dans le maintien, le développement et la protection de leur culture et de leur patrimoine.

Respect des droits culturels autochtones 

Dans un article récent, Simon Brault, chef de la direction du Conseil des arts du Canada, a écrit : [TRADUCTION]

« Nous avons l’obligation et la responsabilité de nous transformer pour mieux soutenir les artistes et les communautés autochtones à leurs propres conditions. Notre nouveau programme autochtone, intitulé « Créer, connaître et partager : arts et cultures des Premières Nations, des Inuits et des Métis », reposera sur une approche autodéterminée unique selon laquelle le personnel et les autres membres des communautés autochtones détermineront la manière dont le programme sera élaboré, mis en œuvre et évalué 3Brault, Simon. « Shaping a Brighter Future: The Canada Council Transforms for the Next Generation », GIA Reader, automne 2016, vol. 27, no 3. . »

Le programme CCP, qui met en valeur l’autodétermination culturelle, va au-delà des notions de « financement désigné » et s’inscrit dans la sphère d’un véritable engagement social transformateur. Lors de l’élaboration du programme, il était capital de le concrétiser à travers des discours sur l’autodétermination et la souveraineté culturelle. Ainsi, en intégrant le programme à un discours sur les droits, nous nous assurons que le Conseil réagira à l’évolution des dynamiques sociétales, législatives et jurisprudentielles, de même qu’aux changements dans les pratiques créatives et culturelles autochtones, et ce, aujourd’hui et à l’avenir. 

En matérialisant le programme CCP grâce à une politique d’autodétermination autochtone, nous reconnaissons que les artistes autochtones travaillent dans des sphères d’action culturelle autochtone, souvent articulées en critiques nuancées et caractérisées par un commentaire social poignant marqué par la force, l’attachement aux liens culturels et le profond sentiment de détenir une capacité d’action. Jolene Rickard, spécialiste de Tuscarora, souligne que [TRADUCTION] « le travail des artistes autochtones doit être interprété à travers la lentille éclairante de la souveraineté et de l’autodétermination, et pas seulement sur le plan de l’assimilation, de la colonisation et de la politique identitaire […]. La souveraineté est la frontière qui permet aux peuples autochtones de sortir de leur position de victimes pour adopter une position stratégique [fmnRickard, Jolene. « Sovereignty: A Line in the Sand », Aperture, printemps 1995, no 139, p. 51.[/mfn] ».

La décolonisation 

La décolonisation est un processus qui consiste à dissocier les concepts impérialistes épistémiques des concepts autochtones du même ordre. Le processus de décolonisation intervient à tous les niveaux d’interaction, c’est à dire entre nous, en tant que peuples autochtones, mais aussi entre nous et les communautés et institutions non autochtones. 

Le savoir autochtone s’appuie sur des hypothèses dont les fondements sont encodés dans la mémoire vivante. Nos Aînés, nos enseignements, nos chants, nos danses, nos histoires, et oui, notre ART, sont la manifestation d’une épistémologie fondée sur des formes autochtones de transfert des connaissances, ce que Gerald Vizenor appelait une [TRADUCTION] « expérience racontée… une réminiscence visuelle 4Vizenor, Gerald. Native Liberty: Natural Reason and Cultural Survivance, Lincoln: University of Nebraska Press, 2009. Consulté en septembre 2017 à l’adresse suivante : http://muse.jhu.edu/chapter/338369. ». C’est l’histoire fondamentale – l’essence de la continuité et le lieu de la résistance et de la mobilisation – qui propulse la culture autochtone. Il s’agit d’une position forte et puissante.

Conciliation et réconciliation 

« Pendant plus d’un siècle, les objectifs centraux de la politique autochtone du Canada étaient les suivants : éliminer les gouvernements autochtones, ignorer les droits des peuples autochtones, mettre fin aux traités conclus et, au moyen d’un processus d’assimilation, faire en sorte que les peuples autochtones cessent d’exister en tant qu’entités légales, sociales, culturelles, religieuses et raciales au Canada. L’établissement et le fonctionnement des pensionnats ont été un élément central de cette politique, que l’on pourrait qualifier de « génocide culturel» 5Rapport final de la Commission de vérité et réconciliation, 2016. »

La conciliation ou la réconciliation 6L’utilisation de ces deux termes est subjective, et parfois contestée. Pour nos besoins, je les utiliserai ensemble afin de tenir compte des différents points de vue entre les peuples autochtones de ce pays et les Canadiens non autochtones est une question capitale pour la nation. En favorisant la tenue de conversations critiques et créatives entre les services internes, les partenaires externes et les artistes, les spécialistes, les survivants et les communautés, le Conseil des arts du Canada s’est engagé à devenir un agent de changement proactif dans le dialogue de conciliation et de réconciliation en cours au pays. 

Avant même la publication du rapport final et des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, le Conseil des arts avait déjà entrepris de repenser sa relation avec les artistes autochtones. Dans le cadre de cet exercice, nous avions commencé à explorer les moyens de mettre en œuvre des initiatives et des stratégies en vue d’un engagement plus durable et à la portée plus large en faveur de la conciliation et de la réconciliation, en les intégrant dans notre structure globale et en engageant des ressources particulières pour des initiatives de programmes spécifiques. Nous avons commencé par nous poser la question suivante : comment les artistes, les spécialistes, les survivants des pensionnats indiens et les membres des populations autochtones et du grand public pourraient ils poursuivre le travail de reconnaissance visant à occulter les effets persistants de la colonisation au Canada? 

De ces discussions est née l’initiative {RÉ}CONCILIATION, un partenariat entre le Conseil des arts du Canada, la fondation de la famille J. W. McConnell et le Cercle sur la philanthropie et les peuples autochtones au Canada. Sur une période de deux ans, cette initiative a financé 27 projets multidisciplinaires et collaboratifs à travers le pays dans le but de faire participer les artistes, les survivants des pensionnats indiens, les communautés autochtones et les membres du grand public à ce dialogue vital et continu. 

Dans la foulée de l’appel à l’action 83 7« Nous demandons au Conseil des arts du Canada d’établir, en tant que priorité de financement, une stratégie visant à aider les artistes autochtones et non autochtones à entreprendre des projets de collaboration et à produire des œuvres qui contribueront au processus de réconciliation », comme indiqué dans l’appel à l’action 83 du rapport final de la CVR, 2016  de la Commission de vérité et réconciliation, le Conseil des arts doit non seulement continuer à soutenir les œuvres d’art et les initiatives organisationnelles novatrices qui comprennent la diffusion et l’étude des conséquences du génocide culturel, mais aussi continuer, en tant qu’organisation, à nous informer sur les défis et les occasions d’amorcer des dialogues, d’élaborer des initiatives et de mettre en place des infrastructures qui ont pour principe fondamental la réconciliation et la conciliation, et agir en conséquence. À l’avenir, nous devons rester conscients du travail vital de conciliation et de réconciliation accompli à travers une série de stratégies de création, d’expression et de mobilisation du public « afin que les efforts nationaux de réconciliation demeurent pertinents pour tous 8Plan stratégique 2016 2021 du Conseil des arts du Canada ». 

Conclusion

Il s’agit d’une période de transformation et de changement pour le Conseil des arts et pour un pays qui est en train de réexaminer sa structure fondamentale. Nous avons un gouvernement qui a affirmé les droits des peuples autochtones de ce pays, et qui a pris des mesures pour surmonter les obstacles complexes et de longue date qui entravent l’établissement d’une véritable relation de « nation à nation ». 

Dans le climat politique actuel, les initiatives du Conseil des arts du Canada sont majeures et vitales, et elles constituent des marqueurs importants d’un changement sociétal plus profond que nous savons possible. Je pense qu’aucun d’entre nous ne peut prédire où tout cela va nous mener; cela dit, l’art et la culture peuvent et doivent jouer un rôle dans cette histoire en évolution. Dans nos communautés, dans ce pays et dans le monde entier, les peuples autochtones continueront à affirmer leurs droits sociaux, politiques, culturels et inhérents. Et tout au long du chemin, ceux qui les accompagneront dans leur résurgence et dans leur avenir, ce sont les artistes. 

Le Conseil des arts du Canada, en tant que bailleur de fonds public national pour les arts, et le programme Créer, connaître et partager : Arts et cultures des Premières Nations, des Inuits et des Métis en particulier, peuvent et continueront d’innover dans ce domaine. 

Notes de bas de page :

  • 1
    Plan stratégique 2016 2021 du Conseil des arts du Canada
  • 2
    Loft, Steven. Créer, connaître et partager : Arts et cultures des Premières Nations, des Inuits et des Métis, 2016.
  • 3
    Brault, Simon. « Shaping a Brighter Future: The Canada Council Transforms for the Next Generation », GIA Reader, automne 2016, vol. 27, no 3. 
  • 4
    Vizenor, Gerald. Native Liberty: Natural Reason and Cultural Survivance, Lincoln: University of Nebraska Press, 2009. Consulté en septembre 2017 à l’adresse suivante : http://muse.jhu.edu/chapter/338369.
  • 5
    Rapport final de la Commission de vérité et réconciliation, 2016.
  • 6
    L’utilisation de ces deux termes est subjective, et parfois contestée. Pour nos besoins, je les utiliserai ensemble afin de tenir compte des différents points de vue
  • 7
    « Nous demandons au Conseil des arts du Canada d’établir, en tant que priorité de financement, une stratégie visant à aider les artistes autochtones et non autochtones à entreprendre des projets de collaboration et à produire des œuvres qui contribueront au processus de réconciliation », comme indiqué dans l’appel à l’action 83 du rapport final de la CVR, 2016 
  • 8
    Plan stratégique 2016 2021 du Conseil des arts du Canada 

Steven Loft

Steven Loft est un Mohawk des Six Nations d’origine juive. Il est actuellement directeur du programme « Créer, connaître et partager : arts et cultures des Premières Nations, des Inuits et des Métis » du Conseil des arts du Canada. Conservateur, chercheur, écrivain et artiste en arts médiatiques, M. Loft a été invité à l’Université Ryerson de Toronto en 2010 à titre de récipiendaire national de la bourse Trudeau. Il a également occupé les postes de conservateur en résidence pour les arts autochtones au Musée des beaux-arts du Canada, de directeur et conservateur de l’Urban Shaman Gallery (Winnipeg), de conservateur de l’art autochtone à l’Art Gallery of Hamilton et de producteur et directeur artistique de la Native Indian/Inuit Photographers’ Association (Hamilton). M. Loft a organisé des expositions collectives et individuelles au Canada et à l’étranger, rédigé une multitude d’articles pour des magazines, des catalogues et des publications artistiques, et donné de nombreuses conférences au Canada et à l’étranger. Il a également codirigé la rédaction des livres Transference, Technology, Tradition: Aboriginal Media and New Media Art (Banff Centre Press, 2005) et Coded Territories: Indigenous Pathways in New Media (University of Calgary Press, 2014).

« Il s’agit d’une période de transformation et de changement pour le Conseil des arts et pour un pays qui est en train de réexaminer sa structure fondamentale. Nous avons un gouvernement qui a affirmé les droits des peuples autochtones de ce pays, et qui a pris des mesures pour surmonter les obstacles complexes et de longue date qui entravent l’établissement d’une véritable relation de « nation à nation »

Steven Loft