En décembre 2018, un groupe de travail collaboratif a tenu une rencontre à Toronto afin d’explorer l’idée de mettre sur pied un registre d’art autochtone en utilisant la technologie de la chaîne de blocs. Trente deux artistes, conservateurs, universitaires et professionnels autochtones ont participé à cette rencontre, qui a été organisée par l’Université de l’École d’art et de design de l’Ontario et financée par le ministère du Patrimoine canadien ainsi que par le Conseil des arts du Canada.
L’idée de mettre sur pied un registre a été lancée par G52, une société de conseils établie à Toronto. Cette société m’a demandé d’organiser une rencontre réunissant des artistes autochtones afin de sonder leur intérêt concernant la mise sur pied d’un tel registre. Dans cette optique, un petit collectif d’artistes a été constitué de façon ponctuelle pour planifier et coordonner cette rencontre.
Pourquoi un registre d’art autochtone?
L’art autochtone, quelle que soit sa forme, fait partie intégrante de l’histoire des Premières Nations, des Métis et des Inuits, de notre présent et de notre avenir.
La peinture, le dessin, la sculpture, la musique, la danse, l’artisanat, la littérature, le cinéma et l’échange oral de connaissances traditionnelles autochtones sont tous très appréciés. Malheureusement, ils comptent également parmi les formes d’art qui font le plus souvent l’objet d’une appropriation indue, au Canada et dans le monde entier. L’art autochtone a été particulièrement vulnérable à la fraude, au vol et à l’appropriation indue, et continue de l’être.
La création artistique est un pilier économique et social des communautés autochtones, et sa valeur pour les personnes autochtones va bien au-delà du simple moyen de générer des revenus. Les cultures autochtones ont pu traverser les âges grâce aux arts et aux artistes autochtones.
Pourtant, les artistes autochtones sont confrontés à de nombreux défis, certains d’entre eux étant isolés dans des régions très éloignées, sans moyens de communication et de transport fiables. D’autres restent dans la pauvreté et ont peu de moyens pour collaborer, pour promouvoir leur travail ou pour atteindre les marchés.
Quels seraient les objectifs d’un registre d’art autochtone?
Les objectifs d’un tel registre seraient les suivants :
- promouvoir l’art et les artistes autochtones;
- protéger les artistes et le marché de l’art en garantissant l’authenticité des œuvres;
- vérifier la provenance et l’historique des œuvres et des artistes;
- réduire et éliminer la fraude et le vol;
- garantir que les artistes reçoivent une rémunération pour leur travail;
- fournir un moyen de vendre, d’échanger et de collaborer dans le domaine de l’art;
- établir un patrimoine d’art et d’artistes autochtones.
Les principales questions liées à la mise sur pied d’un registre d’art autochtone
- La communauté artistique autochtone souhaite-t-elle la mise sur pied d’un registre d’art autochtone?
- Le cas échéant, quelles devraient être les principales fonctions d’un tel registre?
- Comment le processus de vérification et d’inscription des artistes fonctionnerait-il, quels seraient les critères d’admissibilité pour l’inscription au registre et qui serait responsable de déterminer quelles œuvres et quels artistes peuvent y être inclus?
- Comment pouvons nous concevoir le registre et l’administrer au mieux, et nous assurer qu’il appartient aux peuples autochtones et qu’il est supervisé par des personnes autochtones?
- Quelles sont les prochaines étapes possibles pour cette idée de projet?
Détermination des principales difficultés liées à la mise sur pied d’un registre d’art autochtone
La terminologie et les définitions associées aux termes « Premières Nations », « Métis » et « Inuits » ne couvrent pas l’ensemble des peuples autochtones; il s’agit de termes coloniaux, et définir qui est autochtone représente un défi majeur. L’auto identification peut être efficace, mais la communauté joue également un rôle dans l’identification de ses membres.
Si l’on pense aux œuvres originales et aux produits artistiques, y a t il de la place pour les deux dans un registre? Comment devrons nous gérer la fabrication de faux et de contrefaçons par des membres de communautés autochtones? Comment le registre respecterait-il les protocoles, l’intégration des traditions, des lois et de l’éthique?
Un tel registre d’art autochtone inclurait-il divers groupes autochtones afin de garantir le respect de leurs systèmes juridiques respectifs et leur intégration au registre? Que pourrait-on faire pour s’assurer que le registre inclue les personnes autochtones vivant en milieu urbain et les autres personnes autochtones qui ne sont pas affiliés à une communauté particulière?
Les frontières actuelles ont également été imposées aux communautés autochtones, et elles ne devraient pas nous définir ou nous limiter. Les concepts traditionnels de propriété et de valeur ne sont pas toujours compatibles avec une approche de l’art axée sur le marché et les produits. Il est nécessaire de déterminer à quoi ressemblerait l’organisation chargée d’administrer un tel registre.
À quoi devrait ressembler le cadre du projet?
Le registre d’art autochtone devrait être conçu de manière à permettre l’accès à un registre et à protéger même les artistes les plus vulnérables, c’est à dire ceux qui vivent dans des régions éloignées, qui ont un accès limité à Internet, qui n’ont pas d’éducation formelle et qui ont un faible revenu.
Il est également essentiel d’encourager la participation des artistes et des autres utilisateurs pour assurer le succès du registre d’art autochtone. L’intégration du droit de suite à même l’interface d’un site Web devrait également faire l’objet de recherches et de discussions plus approfondies.
La création d’une base de données sur l’art est un autre aspect du registre qui s’avérerait précieux pour les chercheurs, les musées, les galeries et les universités, de même que pour la sensibilisation du public.
Le site Web pourrait contenir une ou plusieurs sections dédiées à la promotion des arts et à l’élaboration de politiques, par exemple :
- pour présenter la législation nécessaire pour protéger les artistes (modifier les lois existantes ou en créer de nouvelles);
- pour s’attaquer au problème du vol ou de l’appropriation indue des œuvres;
- pour suivre l’actualité du monde des arts.
Le registre nécessiterait une interface conviviale, et devrait offrir la possibilité aux artistes et aux communautés de créer leurs propres pages Web.
Objectifs du registre d’art autochtone
Le projet vise principalement à créer une base de données centralisée sur les artistes autochtones et leurs œuvres, appartenant aux peuples autochtones et contrôlée par eux, et dont les objectifs sont les suivants :
- créer un point d’accès où les acheteurs, les conservateurs et les chercheurs peuvent trouver des renseignements consolidés sur les artistes autochtones et leurs œuvres;
- commencer à assurer le suivi des œuvres autochtones, de l’historique de leurs ventes et de leur valeur marchande;
- favoriser l’augmentation des ventes, de la distribution et de l’exposition des œuvres d’art autochtones à l’échelle nationale et internationale;
- s’assurer que les œuvres d’art considérées comme « autochtones » ont effectivement été créées par des artistes des Premières Nations, des Inuits ou des Métis;
- encourager le paiement de redevances sur la revente d’œuvres d’art autochtones en créant un système permettant de faire le suivi des ventes;
- soutenir la protection des droits d’auteur et de la propriété intellectuelle en donnant accès à des renseignements sur les œuvres d’art historiques et contemporaines et sur la provenance de motifs spécifiques à certaines cultures;
- faciliter l’octroi de prêts pour l’organisation d’expositions;
- offrir une protection contre la fraude et la violation du droit d’auteur (particulièrement opportun si le droit de suite sur les œuvres artistiques est inscrit dans la Loi sur le droit d’auteur du Canada).
Discussion sur la chaîne de blocs
La chaîne de blocs est un moyen technologique de tenir des dossiers et de certifier leur exactitude et leur authenticité. Une fois qu’un article est inscrit dans le registre, un certificat d’identification inviolable est produit pour l’artiste ou le propriétaire. La chaîne de blocs est maintenant régulièrement utilisée pour le transfert d’argent, l’administration et la sécurisation de dossiers gouvernementaux, ainsi que pour les entreprises commerciales. Les chaussures Reebok, qui sont souvent contrefaites, utilisent désormais la chaîne de blocs pour prévenir la fraude et détecter les contrefaçons.
Le registre d’art autochtone devrait utiliser la chaîne de blocs pour authentifier et prouver la provenance, pour créer un registre de vente et pour restituer les redevances aux créateurs. Bien qu’il soit important de considérer la chaîne de blocs comme faisant partie intégrante du registre, il faut d’abord déterminer qui en serait le propriétaire, qui prendrait les décisions et quels en seraient les avantages. Il est important de faire comprendre les principes de base de la chaîne de blocs à la communauté autochtone, et en particulier aux artistes autochtones.
Quelles sont les prochaines étapes?
Un large consensus s’est dégagé lors de la rencontre sur la nécessité de créer un registre d’art autochtone. Un comité directeur doit être mis en place pour aller de l’avant. La consultation des artistes et des communautés autochtones doit avoir lieu avant que les plans et une organisation appropriée ne puissent être mis au point pour mettre en œuvre et gérer le projet. Le registre d’art autochtone a été présenté à la Chambre des communes dans le cadre du rapport du Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie concernant l’examen prévu par la loi de la Loi sur le droit d’auteur. Ses observations et ses recommandations sont encourageantes.
OBSERVATIONS ET RECOMMANDATIONS DU COMITÉ
Le Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes reconnaît que, dans de nombreux cas, la Loi ne donne pas adéquatement suite aux attentes des peuples autochtones en ce qui concerne la protection, la préservation et la diffusion de leurs expressions culturelles. Il reconnaît également la nécessité de protéger efficacement les expressions traditionnelles et culturelles de façon à autonomiser les collectivités autochtones, ainsi que de s’assurer que les créateurs autochtones ont les mêmes occasions de participer pleinement à l’économie canadienne que les créateurs non autochtones.
Pour atteindre ces objectifs, les décideurs devront aborder la question de façon créative. Ils pourraient, par exemple, puiser inspiration ailleurs que dans les textes de loi sur le droit d’auteur et la propriété intellectuelle et examiner de près les interactions entre différentes traditions juridiques — y compris les traditions juridiques autochtones. Un tel exercice exige un processus de consultation à la fois plus vaste et plus ciblé que le présent examen législatif. Toutefois, le Comité ne saurait trop insister sur l’importance d’aller de l’avant en collaboration avec les groupes autochtones et d’autres intervenants dans ce dossier et sur le fait que les solutions possibles proposées par des témoins autochtones dans le cadre du présent examen devraient servir de point de départ. Le Comité recommande donc :
Recommandation 5
Que le gouvernement du Canada consulte des groupes autochtones, des experts et d’autres intervenants au sujet de la protection des arts traditionnels et des expressions culturelles dans le contexte de la réconciliation et que cette consultation porte notamment sur :
- la reconnaissance et la protection efficace des arts traditionnels et des expressions culturelles dans la législation canadienne, tant dans la législation sur le droit d’auteur qu’au delà de celles ci;
- la participation des groupes autochtones à l’élaboration de la législation sur la propriété intellectuelle à l’échelle nationale et internationale;
- l’élaboration de moyens institutionnels, réglementaires et technologiques de protéger les arts traditionnels et des expressions culturelles, notamment, sans toutefois s’y limiter :
- la création d’un registre d’art autochtone;
- l’établissement d’un organisme dédié à la protection et à la défense des intérêts des créateurs autochtones;
- l’octroi aux peuples autochtones du pouvoir de gérer leurs arts traditionnels et des expressions culturelles en s’ajoutant une disposition de non dérogation dans la Loi sur le droit d’auteur.
Recommandation 9
Que le gouvernement du Canada consulte les gouvernements provinciaux et territoriaux, les groupes autochtones et d’autres intervenants afin d’explorer les coûts et avantages associés à la mise en œuvre d’un droit de suite à l’échelle nationale, et fasse rapport sur la question d’ici trois ans au Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes.
Tony Belcourt
Tony Belcourt, O.C., LL.D (hon.) a une solide réputation comme dirigeant accompli et spécialiste novateur des relations publiques et des communications, notamment à titre de scénariste, réalisateur et producteur de films, d’émissions de radio, de vidéos et de matériel audio. Il s’intéresse aux arts et aux communications depuis plus de cinq décennies. En 1968, il a été vice-président et directeur général de Team Products, Alberta et Mackenzie, une coopérative de 500 artistes et artisans autochtones de ces régions. Défenseur de longue date des droits des peuples autochtones, il a fait partie de nombreux conseils d’administration, dont le Ralliement national des Métis, la Commission culturelle de la Nation métisse de l’Ontario, la Commission autochtone pour les technologies de la communication dans les Amériques et l’Université de l’École d’art et de design de l’Ontario. Récemment, il a participé activement à une proposition visant à élaborer un registre d’œuvres d’art autochtone. Porté par le calumet, il est considéré comme un Aîné métis.
« L’art autochtone, quelle que soit sa forme, fait partie intégrante de l’histoire des Premières Nations, des Métis et des Inuits, de notre présent et de notre avenir. »