L’étiquette Igloo

Blandina Makkik
2022

L’art inuit est apparu pour la première fois sur les marchés canadiens et internationaux dans les années 1950, et a rapidement gagné en popularité. Toutefois, ce succès commercial a rapidement attiré les imitateurs et les contrefacteurs. Dès le milieu des années 1950, des répliques produites en série et commercialisées en tant que « sculptures inuites » ont commencé à atteindre le marché canadien depuis l’étranger. Au départ, ces objets étaient faits d’un composé de résine et reproduisaient les thèmes et le style inuits, mais au fil du temps, les fabricants ont élargi leurs gammes de produits et se sont mis à présenter ces faux comme s’ils étaient authentiques et véritablement fabriqués par des Inuits. Certains contrefacteurs sont allés jusqu’à adopter des noms à consonance inuite, y compris à inventer des biographies pour les « artistes », et à ajouter des légendes et des histoires inuites dans les cartes de présentation accompagnant leurs produits. Sans aller jusqu’à prétendre que leurs « artistes » étaient inuits, beaucoup ont plutôt décidé de maquiller la vérité en prenant des libertés linguistiques et en employant des subterfuges marketing. 

« Dès le milieu des années 1950, des répliques 76 produites en série et commercialisées en tant que « sculptures inuites » ont commencé à atteindre le marché canadien depuis l’étranger. Au départ, ces objets étaient faits d’un composé de résine et reproduisaient les thèmes et le style inuits, mais au fil du temps, les fabricants ont élargi leurs gammes de produits et se sont mis à présenter ces faux comme s’ils étaient authentiques et véritablement fabriqués par des Inuits. »

Lorsque ces produits vendus à prix modique sont apparus pour la première fois, le gouvernement canadien a agi rapidement. Ayant contribué à l’effondrement de l’économie de subsistance traditionnelle, le gouvernement espérait que la vente d’œuvres d’art inuites contribuerait à lutter contre le chômage et la pauvreté dans de nombreuses colonies arctiques récemment établies. 

Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, désormais appelé Relations Couronne Autochtones et Affaires du Nord Canada (RCAANC), a mis au point la marque Canadian Eskimo Art and Design (CEAAD), qu’il a enregistré en 1958 afin de protéger les consommateurs et, du même coup, les artistes inuits. Le symbole choisi pour représenter l’authenticité des produits fabriqués par des Inuits était un igloo stylisé avec les mots « Eskimo Art », ou plus tard, « Eskimo Art Esqimau », incorporés dans le dessin représentant la marque. Par la suite, la marque est devenue universellement connue sous le nom d’« étiquette Igloo ». Le programme de l’étiquette Igloo a été administré par le gouvernement fédéral par l’intermédiaire de neuf distributeurs autorisés d’art inuit, qui ont été officiellement autorisés à utiliser l’étiquette. 

En 2014, après plusieurs années de consultations avec des artistes, des collectionneurs, des marchands et des organisations gouvernementales de tout l’Inuit Nunangat et du Sud, le ministère nouvellement créé des Affaires autochtones et du Nord Canada (AANC – anciennement MAINC, désormais RCAANC) a amorcé le processus de transfert de l’étiquette Igloo à l’Inuit Art Foundation (IAF), l’organisation nationale gérée par les Inuits du Canada et dédiée au soutien du travail des artistes inuits. Tous les droits de marque et autres droits légaux relatifs à l’étiquette Igloo, ainsi que les responsabilités pour son administration et son application, ont été transférés à l’IAF en juillet 2017. 

Le changement le plus évident apporté à l’étiquette Igloo par l’IAF a été le lancement d’une version actualisée de la marque, qui modifie le libellé de l’étiquette pour afficher « inuit art », « art inuit » et « art inuit art », respectivement. 

Auparavant, l’étiquette Igloo était réservée à l’usage des gouvernements, des distributeurs en gros et d’une guilde d’artisans. Aujourd’hui, il existe trois catégories de licences dans le cadre du programme Igloo : associations d’artistes ou organismes à but non lucratif, détaillants d’art inuit, ainsi que distributeurs d’art inuit. Ces catégories ont été introduites afin d’autoriser davantage d’organisations à utiliser, afficher et promouvoir l’étiquette et à soutenir les artistes. 

L’étiquette contribue à protéger les artistes inuits contre la fraude, l’appropriation culturelle et le vol, tout en indiquant aux acheteurs et aux collectionneurs la provenance des œuvres. Chaque détenteur de licence reçoit un numéro d’identification unique que lui seul peut utiliser, et l’étiquette Igloo ne doit être apposée que sur des œuvres d’art inuit. Lors de l’achat d’une œuvre d’art d’un artiste inuit, les détenteurs de licence autorisés apposent une étiquette Igloo sur l’œuvre. Cette étiquette comporte les noms de l’artiste et de sa communauté d’origine, le titre de l’œuvre et l’année de production de l’œuvre. Un numéro en bas à droite de l’étiquette sert à identifier le détenteur de la licence. 

Les dernières années ont été l’occasion de réévaluer la signification de l’étiquette dans le paysage changeant de l’art inuit contemporain. Les recherches entreprises par l’IAF, ainsi que par RCAANC dans le cadre de son étude de 2017 intitulée Incidences de l’économie liée aux arts inuits, ont révélé que l’étiquette est largement reconnue dans le marché du sud du pays, et que ses retombées économiques demeurent fortes. L’étude de 2017 a déterminé que les collectionneurs sont prêts à payer plus cher pour une œuvre portant la marque que pour une autre – jusqu’à 117 dollars en moyenne –, ce qui génère environ 3,5 millions de dollars par an de recettes supplémentaires pour les cinq détenteurs de licence actuels. 

Un objectif important de l’IAF consiste à déterminer si et comment l’usage de l’étiquette peut être élargi afin d’inclure un plus grand nombre de disciplines artistiques. Les artistes inuits pratiquent désormais de nombreuses disciplines, notamment les arts de la scène, les arts littéraires, le cinéma et les arts médiatiques. Nous espérons que les conversations préliminaires avec les artistes et les organisations qui font la promotion de ces disciplines seront en faveur de l’établissement d’une marque et d’un programme national de soutien aux artistes et de sensibilisation à leur travail. 

L’étiquette Igloo est largement reconnue dans le monde de l’art comme une marque d’authenticité inuite, et joue un rôle de premier plan dans la protection des artistes, des marchands et des collectionneurs d’art inuit contre l’appropriation et la reproduction non autorisée des œuvres. Les communautés inuites bénéficient énormément de la vente d’œuvres d’art originales et authentiques. L’appropriation de l’art inuit ne représente pas seulement un défi économique pour les communautés inuites engagées dans la production d’œuvres d’art, mais constitue aussi une appropriation flagrante des traditions et pratiques culturelles inuites. 

Depuis plus de 60 ans, l’étiquette Igloo est un instrument important et nécessaire pour contrer la désinformation qui entoure la commercialisation de l’art inuit. Alors que l’IAF continue d’accroître sa visibilité et s’efforce d’élargir son rôle, le besoin d’une sensibilisation accrue au sujet de la culture et de l’art inuit contemporain se fait toujours aussi grand.


Blandina Makkik

Blandina Attaarjuaq Makkik est coordonnatrice du programme de l’étiquette « Igloo » à l’Inuit Art Foundation.

« L’appropriation de l’art inuit ne représente pas seulement un défi économique pour les communautés inuites engagées dans la production d’œuvres d’art, mais constitue aussi une appropriation flagrante des traditions et pratiques culturelles inuites. »

Blandina Makkik