La Couverture des témoins

Jennefer J. Nepinak
2022

Je m’appelle Animikiiyashik. Je suis une Anishinaabe Kwe de la Première Nation Minegoziibe Anishinaabe. Makwa Dodem. Mon identité est le fruit de l’enchevêtrement des subtilités de mon lieu d’origine – un espace où se rejoignent la terre, les ressources, la culture, la communauté, la langue et la politique. Je suis issue d’une longue lignée de matriarches fortes, bienveillantes et aimantes. L’amour et les conseils de ma grand mère ont façonné ma vision du monde, et c’est pourquoi le travail et le but de ma vie sont une extension de ce que je suis. En raison de ce que je suis et d’où je viens, je dis souvent que je suis née dans la politique.

Aussi loin que je me souvienne, les principes de justice et d’équité ont toujours servi de pierre d’assise à la personne que je suis. Il n’est donc pas surprenant que j’aie choisi de devenir avocate en suivant une formation juridique occidentale, mais plus important encore, j’ai toujours baigné dans les enseignements traditionnels puisque j’ai côtoyé des Aînés sur l’île de la Tortue tout au long de ma vie. Mon expérience m’a aidée à comprendre certaines choses et à me comporter de manière à appliquer et à honorer les modes de connaissance et les façons d’être autochtones dans le cadre de mon travail. Le rôle que j’ai récemment joué au sein du Musée canadien pour les droits de la personne (MCDP) a été pour moi une occasion incroyable d’appliquer ces principes d’une toute nouvelle manière pour moi. 

L’accord conclu entre le MCDP et l’artiste Carey Newman en ce qui a trait à la protection et à l’utilisation de la Couverture des témoins a marqué un nouveau tournant pour le Musée. Il ne s’agit là que d’un exemple des possibilités qui existent pour créer de nouvelles relations pouvant unir les traditions autochtones et les concepts juridiques occidentaux. Cet accord, qui a été établi grâce à la signature d’un document ainsi qu’à la tenue d’une cérémonie traditionnelle à Kumugwe, la grande maison de la Première Nation K’ómoks sur l’île de Vancouver, marque la première fois dans l’histoire du Canada qu’une société d’État fédérale ratifie un contrat exécutoire dans le respect de traditions autochtones. 

La Couverture des témoins est une œuvre d’art percutante composée de plus de 800 objets recueillis auprès des sites et des survivants des pensionnats indiens, ainsi que des bureaux gouvernementaux et des églises du Canada. Chaque morceau de la couverture raconte une histoire, que ce soit une histoire de perte, de force, de résilience ou de fierté. Par exemple, on peut penser aux tresses de cheveux offertes par les sœurs de Carey Newman, en hommage à leur père et aux enfants qui se faisaient couper les cheveux à leur arrivée dans les écoles; à la chaussure d’un enfant du pensionnat indien de Carcross, enveloppée dans du foin d’odeur, entourée de sauge et drapée dans un tissu rouge; ou encore à la porte de l’infirmerie du pensionnat indien de St Michaels, récupérée avant la démolition du pensionnat en 2014. 

Cette œuvre est d’une importance cruciale non seulement parce qu’elle met en lumière ce chapitre sombre de l’histoire des droits de la personne au Canada et le génocide commis par le Canada contre les peuples autochtones, mais aussi parce qu’elle offre la possibilité de faire progresser le dialogue et l’action sur le génocide et la réconciliation. Les histoires racontées à travers les objets aident les gens à mieux comprendre l’impact des pensionnats indiens en présentant les réalités et les conséquences humaines; elles témoignent des expériences vécues par les personnes qui ont fréquenté les pensionnats, et de l’héritage multigénérationnel qu’a légué le régime des pensionnats indiens.

La relation qu’ont nouée le MCDP et Carey Newman est le fruit d’un engagement commun visant à honorer les histoires racontées par la Couverture des témoins et à les préserver pour les générations futures. L’accord entre le Musée et Carey Newman est unique, car il confère des droits légaux à l’œuvre d’art elle même en tant qu’entité vivante. Les histoires que contient la Couverture ont été confiées à Carey Newman par les survivants des pensionnats, et c’est cette collection d’histoires – la couverture elle même – à laquelle les droits sont conférés. L’accord ne transfère pas la propriété légale de la Couverture des témoins au Musée, mais crée une responsabilité partagée pour son entretien physique et spirituel et pour prendre des décisions dans son intérêt supérieur. La relation entre Carey Newman et le Musée est une relation de collaboration, fondée sur une relation solide de compréhension et de respect réciproques. 

Les traditions et les méthodes de gouvernance Kwakwaka’wakw et le droit occidental des contrats se sont vu accorder le même poids dans cet accord. L’accord écrit a été signé lors d’un événement organisé au MCDP en avril 2019, suivi d’une cérémonie près du territoire traditionnel de Carey Newman à Kumugwe en octobre 2019. La cérémonie a été présidée par le chef et guide spirituel Wedlidi Speck, chef du Gixsam namima (clan) des Kwagul. 

« The Witness Blanket agreement is important because L’accord relatif à la Couverture des témoins est important, car il souligne que les visions du monde autochtones n’existent pas seulement dans le passé, à l’écart du monde contemporain.it emphasizes that Indigenous worldviews do not exist solely in the past, separate from the contemporary world. »

La cérémonie comprenait du chant et de la danse, ainsi que la présence d’un masque des ancêtres. Carey Newman et le président-directeur général du Musée, John Young, ont chacun déclaré leur but et leurs intentions concernant l’intendance de la Couverture des témoins. Des témoins respectés de la communauté Kwakaka’wakw, des jeunes, des Aînés et des personnes ayant un lien avec le projet ont ensuite réfléchi à leurs responsabilités en tant que gardiens de l’histoire et de la mémoire. La cérémonie a été suivie par un festin dans la tradition du potlatch en reconnaissance du don de l’accord et de la relation profonde qui a été forgée. 

L’accord relatif à la Couverture des témoins est important, car il souligne que les visions du monde autochtones n’existent pas seulement dans le passé, à l’écart du monde contemporain. Les peuples autochtones disposent de processus et de systèmes riches, complexes et hiérarchisés qui sont très répandus et utilisés aujourd’hui encore. Cette expérience a créé un sentiment de responsabilité, d’une façon saine, pour toutes les parties prenantes de cette relation.

Les musées ont la possibilité de servir de catalyseur pour redéfinir cette compréhension. L’inclusion doit être la première étape de tout processus afin de favoriser des partenariats souples et fluides avec les peuples et les communautés autochtones dans le cadre de notre travail, et de veiller à ce que ce ne soit pas les privilégiés qui dirigent les efforts. Nous devons regarder au-delà des cadres et des définitions occidentales, et une étude significative et respectueuse des processus de collaboration est la clé. Nous avons été confinés à des cadres historiques qui ne fonctionnent pas toujours, et nous devons nous demander à qui revient la responsabilité de décider quelles expériences relèvent du cadre plus large accepté de la « compréhension ». 

Il incombe aux dirigeants des institutions d’adopter ce ton au sommet de la hiérarchie afin de créer et renforcer une compréhension interne de la manière d’aller de l’avant avec ces collaborations de façon saine. Par ailleurs, de telles relations requièrent un engagement fort, du temps et des ressources, et l’on doit tenir compte de la nécessité d’adopter des approches diversifiées et de s’éloigner d’un modèle universel. En imaginant et en soutenant des partenariats significatifs et respectueux avec les peuples et les communautés autochtones, nous pouvons nous retrouver dans des espaces culturellement appropriés. En fin de compte, nous y gagnons tous.


Jennefer J. Nepinak

Jennefer J. Nepinak B.A., LL. B., IAS. A est une Anishinaabe du territoire du Traité no 4, membre de la Nation Minegozhiibe Anishinaabe (Première Nation de Pine Creek). Mme Nepinak parle couramment l’ojibwé et est une dirigeante forte et passionnée, fermement ancrée dans la communauté autochtone. Elle aborde son travail en s’assurant toujours que les façons d’être et de savoir autochtones sont reconnues et intégrées dans tout ce qu’elle fait.

Mme Nepinak est une avocate et une conseillère expérimentée qui occupe actuellement le poste de vice-présidente associée, mobilisation autochtone, à l’Université de Winnipeg. Elle compte plus de 25 ans d’expérience dans les domaines de la politique, des affaires gouvernementales dans le domaine et des affaires, et est qualifiée pour lancer des processus de collaboration auxquels prennent part de nombreux partenaires et intervenants de différents secteurs. Elle a notamment été conseillère principale au Musée canadien pour les droits de la personne et directrice générale de la Commission des relations découlant des traités du Manitoba. Elle a également occupé plusieurs postes de direction au sein de ministères fédéraux et provinciaux, de gouvernements des Premières Nations et de juriste d’entreprise pour le West Region Tribal Council.

Mme Nepinak est titulaire d’un baccalauréat en sociologie et en justice (1997), d’un baccalauréat en droit (2000) et d’un certificat du Programme de perfectionnement des administrateurs (2018), et est en voie de terminer une maîtrise en gouvernance autochtone. Elle est également membre et présidente de différents conseils et comités, en plus d’être un membre actif de la Société du Barreau du Manitoba.

« La terminologie et les définitions associées aux termes « Premières Nations », « Métis » et « Inuits » ne couvrent pas l’ensemble des peuples autochtones; il s’agit de termes coloniaux, et définir qui est autochtone représente un défi majeur. »

Tony Belcourt